TEXTES

En plongeant dans le passé, on le voit se joindre à l'avenir comme les deux extrémités d'un arc de cercle, et ce cercle, pareil aux ondes sonores, en éveille d'autres à l'infini.
Émiettées de par le monde ( de l'Inde antique jusqu'à nous ), les sciences perdues vont-elles germer ou sont-elles mortes dans la fleur ?
Faut-il attendre d'effluves nouvelles d'autres recommencements ? Suffira-t-il de retourner le sol pour donner aux germes du renouveau les conditions propres à l'existence ?
Combien de civilisations ont sombré, combien d'hypothèses scientifiques se sont renversées devant d'autres hypothèses !
Pourtant, allons, allons toujours ! N'a-t-on pas de quoi éteindre la lutte pour la vie ? de quoi remplacer l'anxiété des estomacs, la misère générale par le bien-être général ?
D'ailleurs, les cerveaux devenant plus que jamais avides, il faudra bien pour les satisfaire que brille l'Ère nouvelle.
Si l'amour de l'humanité est impuissant à faire sonner l'heure libératrice à l'Horloge fraternitaire -heure où le crime n'aura plus de place- l'indignation s'en chargera.

La haine est pure comme l'acier, forte comme la hache ; et si l'amour est stérile, vive la haine !

 

Louise Michel

 

SOUVENIRS DE CALÉDONIE
CHANT DES CAPTIFS


Ici l'hiver n'a pas de prise,
Ici les bois sont toujours verts ;
De l'Océan, la fraîche brise
Souffle sur les mornes déserts,
Et si profond est le silence
Que l'insecte qui se balance
Trouble seul le calme des airs.

Le soir, sur ces lointaines plages,
S'élève parfois un doux chant :
Ce sont de pauvres coquillages
Qui le murmurent en s'ouvrant.
Dans la forêt, les lauriers-roses,
Les fleurs nouvellement écloses
Frissonnent d'amour sous le vent.


Voyez, des vagues aux étoiles,
Poindre ces errantes blancheurs !
Des flottes sont à pleines voiles
Dans les immenses profondeurs.
Dans la nuit qu'éclairent les mondes,
Voyez sortir du sein des ondes
Ces phosphorescentes lueurs !

Viens en sauveur, léger navire,
Hisser le captif à ton bord !
Ici, dans les fers il expire :
Le bagne est pire que la mort.
En nos coeurs survit l'espérance,
Et si nous revoyons la France,
Ce sera pour combattre encor !

Voici la lutte universelle :
Dans l'air plane la Liberté !
A la bataille nous appelle
La clameur du déshérité !...
... L'aurore a chassé l'ombre épaisse,
Et le Monde nouveau se dresse
A l'horizon ensanglanté !

Louise Michel

CHANSON DE CIRQUE


Les hauts barons blasonnés d'or,
Les duchesses de similor,
Les viveuses toutes hagardes,
Les crevés aux faces blafardes,
Vont s'égayer. Ah oui vraiment,
Jacques Bonhomme est bon enfant.

C'est du sang vermeil qu'ils vont voir.
Jadis, comme un rouge abattoir,
Paris ne fut pour eux qu'un drame
Et ce souvenir les affame;
Ils en ont soif. Ah! oui, vraiment
Jacques Bonhomme est bon enfant.

Peut-être qu'ils visent plus haut:
Après le cirque l' échafaud;
La morgue corsera la fête.
Aujourd'hui seulement la bête,
Et demain l'homme; Ah! oui, vraiment
Jacques Bonhomme est bon enfant.

Les repus ont le rouge aux yeux.
Et cela fait songer les gueux,
Les gueux expirant de misère.
Tant mieux! Aux fainéants la guerre;
Ils ne diront plus si longtemps:
Jacques Bonhomme est bon enfant.

 

Louise Michel

 

VIRO MAJOR

 

Ayant vu le massacre immense, le combat,
Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
La pitié formidable était dans tes paroles.
Tu faisais ce que font les grandes âmes folles,
Et lasse de lutter, de rêver, de souffrir,
Tu disais: " J'ai tué ! " car tu voulais mourir.
Tu mentais contre toi, terrible et surhumaine.
Judith la sombre Juive, Arriva la Romaine
Eussent battu des mains pendant que tu parlais.
Tu disais aux greniers: " J'ai brûle les palais ! "
Tu glorifiais ceux qu'on écrase et qu'on foule.
Tu criais: "J'ai tué, qu'on me tue !" Et la foule
Ecoutait cette femme altière s'accuser
Tu semblais envoyer au sépulcre un baiser.
Ton œil fixe pesait sur les juges livides,
Et tu songeais, pareille aux graves Euménides.
La pâle mort était debout derrière toi,
Toute la vaste salle était pleine d'effroi,
Car le peuple saignant hait la guerre civile.
Dehors, on entendait la rumeur de la ville.
Cette femme écoutait la vie aux bruits confus,
D'en haut, dans l'attitude austère du refus.
Elle n'avait pas l'air de comprendre autre chose
Qu'un pilori dressé pour une apothéose.
Et trouvant l'affront noble et le supplice beau,
Sinistre, elle hâtait le pas vers le tombeau.
Les juges murmuraient: " Qu'elle meure ! C'est juste.
Elle est infâme. A moins qu'elle ne soit Auguste",
Disait leur conscience. Et les juges, pensifs,
Devant oui, devant non, comme entre deux récifs,
Hésitaient, regardant la sévère coupable.
Et ceux qui, comme moi, te savent incapable
De tout ce qui n'est pas héroïsme et vertu,
Qui savent que, si l'on te disait: " D'où viens-tu ? "
Tu répondrais: " Je viens de la nuit d'où l'on souffre ;
Oui, je sors du devoir dont vous faites un gouffre. "
Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux,
Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs, donnés à tous,
Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta parole semblable à celle des Apôtres,
Ceux qui savent le toit sans feu, sans air, sans pain,
Le lit de sangle avec la table de sapin,
Ta bonté, ta fierté de femme populaire,
L'âpre attendrissement qui dort sous ta colère,
Ton long regard de haine à tous les inhumains
Et les pieds des enfants réchauffés dans tes mains,
Ceux-là, femme, devant ta majesté farouche
Méditaient, et malgré l'amer pli de ta bouche,
Malgré le maudisseur qui, s'acharnant sur toi,
Te jetait tous les cris indignés de la loi,
Malgré la voix fatale et haute qui t'accuse,
Voyaient resplendir l'ange à travers la méduse.
Tu fus haute et semblas étrange en ces débats,
Car, chétifs comme sont les vivants d'ici-bas,
Rien ne les trouble plus que deux âmes mêlées,
Que le divin chaos des choses étoilées
Aperçu tout au fond d'un grand cœur inclément,
Et qu'un rayonnement vu dans un flamboiement.

Victor HUGO

BALLADE EN L'HONNEUR DE LOUISE MICHEL

Madame et Pauline Roland, Charlotte.

Théroigne, Lucoile.
Presque Jeanne d'Arc, étoilant
Lo front de la foule imbécile,
Nom des cieux, coeur divin qu'exile :
Cette espèce de moins que rien
France bourgeoise au dos facile
Louise Michel est très bien.

Elle aime le  Pauvre âpre et, franc
Ou timide, elle est ta faucille
Dans Ie blé mûr pour le pain blanc
Du Pauvre, et la sainte Cécile,
Et la Muse rauque et gracile
Du Pauvre et son ange gardien
A ce simple ; à cet imbécile.
Louise Michel est très bien.

Gouvernements et maltalent,
Mégathérium ou bacille,
Soldat brut, robin insolent,
Ou quelque compromis fragile.
Tout cela son courroux chrétien
L'écrase d'un mépris agile.
Louise Michel est très bien.

Envoi

Citoyenne ! Votre évangile
On meurt pour ! c'est l'Honneur! et bien
Loin des Taxil et des Bazile.
Louise Michel est très bien.

A.VERLAINE
1888